Lettre 840

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Année 388[1]

(Dossier Proclos)

(Dossier Tatianos)

Cette lettre est la première d’une série qui marque la reprise de contact avec le préfet du prétoire Tatianos. Libanios se dit heureux de se rapprocher de lui, « après ses ennuis », évoqués dans ep. 844 et peut-être ep. 18 (accusations de recours à des procédés divinatoires interdits concernant l'éventuel successeur de l’empereur Théodose). La lettre 840 témoigne de la familiarité retrouvée entre le sophiste et le Préfet. Il n'est sans doute pas indifférent que ce soit avec un personnage de cette importance que Libanios ouvre un nouveau recueil de sa correspondance (cf. analyse de Van Hoof 2014). La lettre est portée par Proclos, qui quitte Antioche pour Constantinople où il vient d'être nommé préfet de la Ville. Elle serait datée du milieu de 388, puisque Tatianos prend la succession du préfet Cynégios qui est mort en mars 388 ; d'autre part, Tatianos était déjà en fonction à la mi-juin, comme l’atteste une constitution impériale (CTh, 16, 4, 2).

Τατιανῷ
 
à Tatianos
1. Τῶν πρώτων σου γραμμάτων εὐθὺς ἡμῖν ἐν ἀρχῇ τῆς ἀρχῆς ἡκόντων, εἶτα ἑτέρων οὐχ ἡκόντων θαυμάζειν ἐπῄει τοῖς φίλοις καὶ ζητεῖν, ὅτῳ ποτὲ τοῦθ’ οὕτως ἔσχεν. 2. ἐγὼ δὲ αὐτοὺς οὐκ εἴων ἀπορεῖν οὐδὲ σὴν τοῦτο νομίζειν μεταβολήν, οὐ γὰρ σὸς οὗτος ὁ τρόπος, ἀλλ’ ἐπὶ τὴν αἰτίαν ἣν ἔσχον ὡς πονηρὸς εἰς τοὺς κρατοῦντας γεγονώς, ἦγον τῆς σιωπῆς τὴν αἰτίαν κωλύειν λέγων τὸν νόμον τὰς τῶν τηλικούτων πρὸς τοὺς τοιούτους ἐπιστολάς, τῆς μέμψεως δὲ ἐξελεγχθείσης ἔφην ὄψεσθε τὰ γράμματα. 3. ταῦτα εἶπον, ταῦτα προσεδόκησα, ταῦτα ἐξέβη τῆς αὐτῆς ἡμέρας σὴν ἐνεγκούσης ἐπιστολὴν καί τινων ἄλλων, ἐν αἷς ἦν μανθάνειν ὡς ἀφείθημεν ἐλεύθεροι. 4. καὶ οὐκ ἠγνοοῦμεν τὸν συνηγωνισμένον τοῖς πράγμασι προσθέντα γε αὑτὸν τοῖς ἀπ’ ἐκείνων. καὶ γάρ, εἰ μὴ λέγεις, ἀλλὰ βεβοήθηκας. καὶ πρέποι ἂν σοὶ μὲν τοῦτο μὴ λέγειν, ἐμοὶ δὲ λέγειν. ὁ γὰρ εὖ παθὼν οὐκ ὢν κακὸς τοῦτο ποιήσει. 5. ἐγὼ δέ σε καὶ ἀπόντα φιλεῖν εἶχον ἐν τῷ σῷ παιδὶ καὶ προσάγων τῷ Πρόκλου στόματι τοὐμὸν ἀμφοτέρους ἡγούμην φιλεῖν καὶ τῇ γε ἐμαυτοῦ συνέχαιρον οὕτως ὑμᾶς ἀμειβομένῃ νικώσῃ πάντα τὰ πρὸς ἄρχοντας αὐτῇ πεπραγμένα καὶ μάλα εἰκότως· καὶ γὰρ ὑμεῖς τοῖς ὑμετέροις αὐτῶν τὰ τῶν ἄλλων εἰς ταύτην.   1. Ta première lettre nous est arrivée au commencement de ton commandement[2], puis aucune autre n’est arrivée : mes amis en vinrent à s’étonner et à se demander quelle en était la raison ; 2. moi je ne les laissais ni dans l’embarras ni dans la pensée que cela venait d’un changement de ta part – en effet ce n’est pas ton caractère – mais c’est à l’accusation portée contre moi d’outrage[3] envers les puissants que j’attribuais la cause de ton silence[4], disant que l’usage interdit à des hommes de ta qualité[5] d’écrire à des gens dans ma situation, « mais quand le blâme sera levé, dis-je, vous verrez sa lettre ! » 3. C’est ce que j’ai dit, c’est ce que j’ai attendu, c’est ce qui est arrivé puisque le même jour a apporté ton courrier[6] et celui de quelques autres : on pouvait y apprendre que nous étions rendus à la liberté. 4. Et nous n’ignorions pas que celui qui avait défendu nos affaires à nos côtés s’intéressait à leur suite, car même si tu ne le dis pas, tu m’as néanmoins aidé. Ce n’est sans doute pas à toi de le dire, c’est à moi de le dire. Qui a reçu les bienfaits, à moins d’être ingrat, le fera. 5. Quant à moi, même en ton absence, je pouvais t’embrasser en la personne de ton fils[7] et quand j’approchais ma bouche de celle de Proclos, je croyais vous embrasser[8] l’un et l’autre et je me réjouissais avec ma cité qui, en vous gratifiant de la sorte, surpasse tout ce qu’elle a fait envers ses dirigeants, et vraiment à juste titre ; en effet par vos actions, vous avez surpassé ce que les autres ont fait pour elle.
  1. Datation d’après Petit 1994, p. 240. La lettre qui met l’accent sur le commandement du préfet peut difficilement être antérieure au milieu de l’année, compte tenu des délais de transmission des deux lettres évoquées, la première citée en tête et la présente lettre (Norman 1992 II, p. 303).
  2. Jeu de mots sur ἀρχή, « commencement » et « commandement ». Ce même jeu se rencontre chez Isocrate, Panégyrique d’Athènes, 119 : ἅμα γὰρ ἡμεῖς τε τῆς ἀρχῆς ἀπεστερούμεθα καὶ τοῖς Ἕλλησιν ἀρχὴ τῶν κακῶν ἐγίγνετο (http://data.perseus.org/citations/urn:cts:greekLit:tlg0010.tlg011.perseus-grc1:119).
  3. Ici πονηρός, « méchant », renvoie à une faute gravissime, un crime de lèse-majesté : pratiquer la divination concernant la succession impériale. Pellizzarri 2017 traduit l’adjectif par « déloyal » ; Norman 1992 II, p. 303 utilise le terme « déloyauté ». On fait le choix d’interpréter l’adjectif dans le même sens et de le traduire par « outrage ».
  4. Jeu de mots sur αἰτία, « accusation » et « cause » ; les allusions à la « méchanceté » de Libanios peuvent renvoyer aux accusations de pratiques divinatoires (aux fins de connaître l’avenir) qui pesaient sur le rhéteur païen, et dont Calliopios, magister epistularum, aurait contribué à le délivrer, comme nous l’apprend l’ep. 18 (Norman 1992 II, note b, p. 304-305 ; Petit 1994, p. 240).
  5. Personne « de qualité », ce qui renvoie au rang ou à la dignité : question de hiérarchie sociale et de protocole.
  6. Les termes γράμματα et ἐπιστολή sont ici de parfaits synonymes et renvoient tous les deux à la même lettre de Tatianos.
  7. Proclos qui était alors à Antioche.
  8. Jeu de mots sur φιλέω-ῶ, « aimer » et « embrasser ».